Deux semaines s’étaient écoulées depuis l’incident aux pieds des Pyramides. Souad s’était dite que finalement, l’homme n’eut le courage de venir ou bien, s’était-il bien joué d’elle si au final, il n’était pas devenu fou. La jeune femme aurait pu lui envoyer aux trousses, une armée de ses petits amis pour le retrouver et lui apprendre les bonnes manières, mais ce ne serait trop son genre non ? Enfin si un petit peu, cet homme lui aurait donné de faux espoirs pour au final le lui reprendre ? La malédiction d’Amon était bien cruelle. Mais elle ne préférait pas s’attarder sur le sujet et se concentra sur le présent. Tout semblait donc revenir à l’ordre, Souad enseignait son art, s’occupait de ses chats et pendant plusieurs jours, ne cogita point ni tenta de se venger sur qui que ce soit. Ce bon vieux Darren aurait été content.

Hélas, cette paix quelques peu retrouver fut interrompue quand on vint la prévenir qu’une personne était venu la voir et qu’il s’agissait du « Perturbateur. » Bastet frémissait, cela faisait longtemps qu’on n’était pas venu la chercher pour dire qu’une personne demandait audience. Mais savoir qu’il s’agissait de Toshiro… Il devait hésiter de venir pendant un bon moment il fallait croire.

"Que tout le monde parte. J'ai besoin de rester seule avec lui."

Tout le monde obéissait sans poser de question. Basta pouvait être aussi bien une enseignante compatissante et douce, qu’autoritaire et exigeante. Quand elle grondait quelque chose, même sans hausser la voix, il était de bon ton de baisser la tête et obéir. Une fois l’école vidée, elle alla retrouver Gao dans la salle de pause. Non furieuse, ou bien elle le cachait parfaitement, elle se tenait devant lui, droite, vêtu d’un haut sans manche, les mains reposant sur sa robe plissée dorée. Le sourire aux lèvres naturellement.

"J’avais fini par croire que vous ne viendrez plus. Quelle joie de vous revoir mon chère."

Bastet était convaincue en tout cas, que Gao n’allait pas se comporter comme ces fous touchés par les dieux, braillant tout et n’importe quoi, se montrant menaçant. Sa petite crise devait être passer depuis, il serait temps de passer aux choses sérieuses. Mais avant de le jeter dans une arène infester de lions sauvages et affamés, il vaudrait mieux l’aider à se sentir à l’aise.

"Soyez le bienvenu. J’espère que vous allez bien."

Il eut au moins la bonne idée de ne pas venir les mains vides. Il tendit son bouquet de fleur comme un amant désolé d’avoir oublier leur anniversaire. Basta les prit donc, les humant. Elle ne disait pas non à un cadeau et les fleurs lui plaisaient bien. Elle accorda juste un petit "Merci." en guise de réponse. Bon, elle n’était pas en colère contre lui, juste un peu déçus de ne pas l’avoir vue revenir plutôt. Elle avait vraiment crue que Toshiro aurait saisit l’occasion pour la revoir peu de temps après leur rencontre. Or, il semblait avoir fuit. On aurait put croire qu’il riait ces derniers jours après s’être moqué de la déesse, ou bien qu’une réelle folie le privait de tout bon sens.

Enfin bon, il était là et semblait déjà aborder le sujet principal après quelques compliments, pour détendre l’atmosphère et chercher maladroitement à se faire pardonner. Bien, au moins ils pouvaient avancer et en quelque sorte, rattraper le temps perdu. Tout comme Gao, la divine était curieuse de savoir qui était réellement l’étranger. Enfin, elle avait quelque doute, mais Toshiro ne semblait rien soupçonner. Une amnésie vraisemblablement. Souad avait toujours sous la main, sa solution quelque peu radicale. Mais avant…

"Bien. Mettez-vous donc à votre aise, pendant que je prépare le thé." Demandait-elle en lui désignant une des places libres près des petites tables, tout en allant vers les machines.

Elle ne lui laissa pas vraiment le choix, imposant donc de prendre une boisson offerte, à savoir le thé. Et tout refus pourrait irriter la divine Souad. Y disposant deux petites tasses en porcelaine, elle y versa de l’eau chaude avec le thé infusé. Pendant qu’elle terminait ce rituel, elle questionna son invité, sans se retourner, lui faisant dos.

"Vous vouliez qu’on parle alors. Est-ce en lien avec ce que vous m’avez dit l’autre jour ou s’agit-il d’une tout autre affaire ?"

Elle revint prendre place en face de lui, déposant les deux tasses entre eux avec une boite à sucre et des cuillères. Touillant son thé, Bastet regarda Toshiro, attendant ses explications. Que se passait-il ? Y’avait-il eut des nouvelles depuis ? Quelque chose de dramatique venait de se produire et ayant motivé cet homme à venir la revoir ? Souad était curieuse de tout savoir.
Pendant que la musique diffusait par la cuillère frottant la porcelaine emplissait la pièce, la jeune femme, d’apparence, en profita pour mieux examiner cet invité en détail.

N’étant plus prit par une quelconque forme de folie, ses traits semblaient plus doux. Gao apparaissait mieux comme un beau jeune homme aux traits asiatiques. Sa coiffure à la fois sauvage et ordonné lui donnait un beau style et ses yeux étaient sombres comme elle aimait. Si Toshiro fut un dieu ou une créature comme le suspectait Souad, il pouvait en être un venant de l’orient lointains. La Chine ? La Corée ? Le Japon ? Mais Bastet savait qu’il ne fallait pas se fier aux apparences, et que les corps choisis pour ces entités, ne voulaient rien dire. Ainsi elle gardait au fond d’elle, l’espérance que Gao puisse venir de son propre panthéon et qui sait… Son mari disparu ?

Ce n’était pas une référence égyptienne, mais Bastet se voyait comme Pénélope qui attendait le retour de son Ulysse, sachant qu’à son retour, il aurait changé tant physique que mentalement. Sauf qu’au lieu de rester assise à faire du tricot, Souad investiguait pour retrouver son grand amour. Pourtant, il en existait des raisons pour cesser cette recherche dont une que Bastet refoulait au fond d’elle, la faisant taire. Si Gao était Ptah, alors tout s’arrangerait enfin.

Même si Souad avait de nombreuses raisons d’en vouloir ou se méfier de cet étranger, son air désolé et petit minet était attendrissant. Elle avait le visage de la fermeté, mais la danseuse éprouvait au fond d’elle l’envie de cajoler ce petit humain pour le réconforter. Quoi que puisse être ses désire, Souad demeura de marbre, écoutant ce que Gao avait à lui raconter. On pouvait dire que l’étranger avec un don pour surprendre. Ce qu’il racontait, ce n’était pas n’importe quoi. Il narra un récit qui frappa la déesse d’une puissante vague de souvenir.

D’un coup, la belle brune se revit plonger dans l’ancienne Per Bast, ou Bubastis, la ville sacrée qui lui fut consacrée. Elle revoyait les terres fertiles du Delta, sur lesquelles sa capitale fut bâtit, avec ses nombreuses maisons parsemait ici et là, mais surtout, ce qui était mise en avant dans l’histoire de Toshiro, le palais-temple. Immense, complexe, richement orné, la jeune femme, d’apparence, se revit sur son majestueux trône d’or dans une salle imposante soutenue par une garde de colonnes blanches richement décorés de son histoire. Et celle de Gao ne lui fut pas étrangère.
Bastet se souvenait bien de cette anecdote comme si c’était la semaine dernière. Etrange que Toshiro ne puisse définir le crime dont il en retournait, car il s’agissait d’un des pires qui soit. Le coupable avait tenté à la vie d’un chat, le pire crime de la cité qui méritait la peine capitale.

Bastet, ferme, le visage dur, était résolue à faire condamner le criminel. Mais en effet, son frère se porta garant pour son semblable, suppliant la vie pour ce dernier. Ce n’était pas la première fois qu’on suppliait pour un proche devant elle, et rare furent les fois où Bastet y consentit. Fort heureusement, la petite fratrie parvint à prouver l’innocence de l’un, leur valant la vie. Si la divine chatte se montrait cruel et juste dans la justice, elle aimait voir l’innocent blanchit et sauver.

L’histoire terminée, elle touilla dans sa tasse avec sa cuillère, méditant sur ce qu’on venait de lui narrer. Plus aucun doute, Gao devait être l’un d’entre eux, un dieu ou une créature. Mais restait à savoir qui. Car savoir une histoire pareille, aurait demander des recherches minutieuses, et toutes les archives de l’ancien temps sur les affaires judiciaires ont pratiquement toutes disparues.

"Donc, je serais l’incarnation de la déesse et vous… Celle d’un des deux frères ?"

Si Souad voulait bien croire que Toshiro ne soit pas humain, elle ne bondissait pas de suite sur cette occasion. Car l’histoire qu’il venait de raconter était celle entre UNE déesse et les hommes. Il n’avait parler de la présence de qui que ce soit d’autre. Et donc, son histoire pouvait encore le rapprocher de celui d’un fou, d’une personne se voyant comme l’incarnation d’un mortel ayant eu grâce d’une déité. L’île n’était pas très loin des Amériques. On disait que les fous étaient nombreux sur cet immense continent.
Malheureusement pour lui, seuls les dieux et les créatures furent chassés sur Caelesti. Ce qui était amusant avec cet homme, fut qu’en même temps qu’il gagnait des points en crédibilité, il en perdait. Ce fut toujours difficile de se prononcer à son sujet, Gao restait de A à Z une énigme même pour une déesse aussi rusée que fut Bastet.

"Quoi qu'il en soit, votre mémoire semble dans tous les cas, comme bloqué, il faudrait peut-être un petit coup de pouce pour la faire sortir."

Bon, l’idée de le prendre pour un fou encore était tentant. On pouvait souvent voir des gens touchés par un élément historique ou mythologique et se plonger dans un monde dans lequel, ils se voyaient comme une sorte d’élu ou d’incarnation. En Egypte antique, ce phénomène était très fréquent. Si certains humains furent touchés par la grâce divine pour devenir leur représentant ou porte-parole, à l’image des grands prêtres et des pharaons, certains et certaines se voyaient eux aussi les dignes dignitaires des dieux. Des femmes qui se prenaient pour Bastet, il en a eu et pas qu’un peu.
La déesse se flattait en se disant que ce phénomène, fut provoqué par une immense admiration envers sa personne. Mais des fois ce comportement entrainait quelques problèmes et la divine devait intervenir. Imaginez, quelqu’un qui se prenait pour vous pour X raison, et faisait n’importe quoi. Votre réputation en prenait un coup. Et les dieux devaient protéger une image s’ils désiraient conserver un culte.

Alors Gao ? Vrai ou délire ? Il rapportait bien trop de détail dans son récit, pour que ce soit un mensonge, ou une déformation provoquée par un esprit malade. Souad voulait le croire, donner crédit à ses paroles. De toute manière, elle allait en être fixer. Là, elle aurait bien aimé un petit coup de main de la part d’Isis ou même de Sekhmet, si elle ne leur en voulait pas autant encore. Elle devra donc se débrouiller avec ce qu’elle avait sous la main dans ce cas.

"Mieux que vous la raconter, je vais vous la faire vivre."

Alors qu’elle buvait tranquillement son thé, une horde de chat surgissait de nulle part. En quelques secondes, une variété de félin aussi bien domestique que sauvages, apparurent tout autour d’eux, encerclant le pauvre Toshiro et se tenant aux côtés de leur maîtresse.
Ces petits chasseurs aux yeux vert brillant, crachèrent et menacèrent le jeune homme. On aurait dit qu’ils allaient se jeter sur lui pour le déchiqueter. D’ailleurs, n’était-ce pas ce qui fut au programme ? Le pauvre Toshiro allait jouer à la sourie géante face à une armée de matous.

"Voyons donc ce que vous nous cachez."

Elle ne disait rien aux chats, aucun geste, aucun regard, mais ces sujets savaient ce qu’elle souhaitait. Ayant une connexion particulière avec eux, pas besoin de mot pour se faire comprendre et obéir. Comme des petits lions en chasse, ils tournèrent autour de l’étranger, cherchant le bon moment pour attaquer.
Qu’allait donc faire Gao ? Souad était convaincu que s’il s’agissait de quelqu’un de chez elle, il dévoilerait sa véritable nature par sa forme ou ses capacités. En attendant, elle le testait comme un mère intransigeante qui poussait son rejeton à se dépasser, dévoiler son plein potentiel.